
Entretien avec Jean-Pierre Marcelli, directeur du département Afrique subsaharienne de l'AFD.
L’Afrique subsaharienne est l’une des régions du monde dont la croissance économique et démographique est la plus rapide. Hélas, les contraintes de développement et parfois la conjoncture mondiale n’ont pas toujours permis une prospérité partagée.
Jean-Pierre Marcelli, directeur du département Afrique subsaharienne, revient sur les grands défis à relever par le continent et sur l’action de l’AFD.
Quels sont, selon vous, les grands défis de développement de l’Afrique subsaharienne ?
Jean-Pierre Marcelli : D’ici 2050, la population de l’Afrique subsaharienne aura doublé et atteindra 2,1 milliards* d’habitants. On ne peut donc qu’envisager un continent qui sera incroyablement plus peuplé, jeune et dynamique. C’est cette jeunesse que l’on doit préparer à relever les défis qui se présentent pour lui assurer l’avenir prospère auquel elle aspire. D’autre part – on le constate souvent lors des déplacements sur le terrain, l’Afrique est un continent qui saisit les opportunités offertes par sa forte croissance tout en étant conscient de ses fragilités. C’est un continent qui pèsera de toute façon de plus en plus sur l’échiquier de la planète.
Pourriez-vous nous détailler la politique du gouvernement français en matière d’aide au développement ?
Jean-Pierre Marcelli : Les directives du gouvernement français confèrent à l’Afrique une place prioritaire. Lors du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique en décembre 2013, le Président de la République François Hollande a annoncé le doublement des financements du groupe AFD vers le continent africain, qui devront atteindre 20 milliards d’euros sur la période 2014-2018. Par ailleurs, l’augmentation des financements de l’AFD annoncée en 2015 devrait bénéficier fortement aux pays du continent africain (notamment 2 milliards d’euros pour les énergies renouvelables d’ici 2020).
La stratégie de l’AFD en Afrique subsaharienne sera définie par un nouveau « cadre d’intervention régional » (CIR) qui couvrira la période 2017-2021. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Jean-Pierre Marcelli : Pour la période 2017-2021, notre « cadre d’intervention régional » (CIR) devrait mettre l’accent sur une prospérité mieux partagée, la lutte contre les vulnérabilités et l’accompagnement des transitions. En effet, notre rôle est d’accompagner l’Afrique subsaharienne dans les processus de transformations considérables qu’elle traverse aussi bien au niveau démographique, politique, énergétique, écologique que territorial. L’AFD fait ainsi de l’accès à l’énergie, l’éducation de qualité, la formation professionnelle, la santé et la sécurité alimentaire ses priorités. Elle concentre également ses efforts sur les problématiques d’insertion économique et sociale de la jeunesse et de création d’emplois, en dynamisant le tissu économique et les moteurs de la croissance. Nous visons donc à la fois un développement plus prospère et des sociétés plus résilientes.
Pour y parvenir, faire face aux vulnérabilités environnementales et sociales est également un prérequis au développement du continent et une nécessité pour valoriser durablement les fruits d’une croissance inégalement répartie. Accompagner les transitions énergétiques représente également une opportunité pour les pays de changer de paradigme et d’infléchir leur trajectoire de développement.
Tout cela sans oublier la nécessité de tenir compte d’un développement équilibré des territoires dans un contexte d’urbanisation rapide mais aussi où le développement rural reste un enjeu primordial pour l’Afrique. Nous souhaitons qu’au travers de transitions les plus harmonieuses possibles, les vulnérabilités de l’Afrique subsaharienne ne soient plus demain des fragilités ou des menaces mais des opportunités qui dessinent la trajectoire du continent.
Des exemples de projets emblématiques ?
Jean-Pierre Marcelli : Je pense à des programmes d’éducation, d’insertion et de formation professionnelle considérables en Côte d’Ivoire qui permettent de suivre des enfants depuis l’école primaire jusqu’à la formation professionnelle en passant par l’enseignement technique supérieur. Ce programme accompagne des centaines de milliers de jeunes désireux d’accéder à des emplois décents.
Je pense à des programmes d’énergies renouvelables dont le succès a conduit le Kenya à devenir un important producteur et bientôt potentiellement exportateur d’énergie verte vers les autres pays de la région.
Je pense à des projets d’eau et d’assainissement dans les villes du Sahel - que ce soit à Ouagadougou, à Bamako ou à Dakar, qui touchent des millions de personnes. Certes, la croissance démographique « renouvelle » constamment les besoins, mais nous assistons à de véritables success stories qui nous encouragent à poursuivre et à rester optimistes.
L’AFD intervient sur la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne : comment s’adapte-t-elle aux spécificités de chaque pays et de chaque région ?
Jean-Pierre Marcelli : Il est vrai que le continent est aujourd’hui une Afrique « mosaïque ». On parle trop souvent de l’Afrique en général, or il y a plusieurs Afriques, plusieurs trajectoires de croissance. Pour relever des défis aussi divers, nous avons la chance de pouvoir déployer une gamme d’instruments financiers très large grâce à l’apport complémentaire de notre filiale Proparco dédiée au secteur privé, au fonds d’investissement et de soutien des entreprises en Afrique (FISEA) et à notre guichet ONG. L’AFD est un « couteau suisse » de solutions de développement.
Notre deuxième force, c’est la passion de nos équipes sur le terrain : notre réseau d’hommes et de femmes, implantés sur le continent quels que soient les contextes, y compris pendant les crises. C’est aussi à Paris : nos ingénieurs, nos responsables pays, nos experts des risques, nos financiers, nos économistes, nos juristes, agents administratifs et de gestion qui aiment l’Afrique subsaharienne et sont prêts à s’adapter à la pluralité des situations.
Nos priorités étant déterminées par la demande (et non pas l’offre), c’est elle qui nous inspire et nous guide. C’est pourquoi l’AFD s’adapte et se renouvelle constamment sans pour autant oublier ses héritages et ses savoir-faire. L’AFD ne peut aujourd’hui ressembler à celle d’il y a 5 ans. À un moment où l’innovation est une priorité de l’AFD, je suis persuadé que la terre d’innovation la plus évidente et la plus exigeante est en Afrique.
* Selon le scénario médian des Nations-Unies.
No comments:
Post a Comment